Last modified: Tuesday, June 29, 2010
La mort de leurs pairs pousse des bacteries a quitter le bercail
Pour communication immédiate
29 Juin 2010
BLOOMINGTON, Ind., États-Unis -- La bactérie Caulobacter crescentus répond à la mort de ses semblables de façon singulière: elle devient moins adhérente.
Des biologistes travaillant à Indiana University aux États-Unis ont découvert que l'ADN extracellulaire (ADNe) relâché par des cellules mortes avoisinantes empêche l'extrémité adhésive, appelé holdfast, des bactéries vivantes de se fixer aux surfaces, les empêchant ainsi de rejoindre d'autres bactéries organisées en biofilm. Les cellules moins adhérentes sont plus enclines à nager loin du biofilm établi et à explorer les environnements avoisinants.
Caulobacter est une bactérie innofensive qui vit dans des environnements aquatiques pauvres en nutriments, comme les lacs, les rivières et les canalisations d'eau potable. Comme de nombreuses autres bactéries, Caulobacter forme des biofilms, agrégats de cellules retenues ensemble par une matrice extracellulaire produite par les bactéries elles-mêmes. Au sein d'un biofilm, les bactéries sont plus résistantes face aux attaques de prédateurs, aux antibiotiques et aux stress environnementaux. Cependant, si les conditions de vie à l'intérieur du biofilm se détériorent, il devient avantageux pour les bactéries de s'enfuir et de coloniser d'autres surfaces aux conditions de vie plus propices. Ceci pourrait représenter un problème pour Caulobacter, car, comme l'ont démontré en 2006 le professeur Yves Brun, responsable scientifique de ce projet, et des collaborateurs de Brown University, le holdfast de Caulobacter est l'adhésif le plus puissant connu dans la nature. Ainsi, lorsque les bactéries rejoignent le biofilm et s'y attachent, elles y restent attachées de façon permanente.
Caulobacter résout ce problème d'une manière surprenante. Chaque bactérie se reproduit en générant un clone identique à lui-même via réplication cellulaire. La cellule fille, appelée cellule « swarmer », commence sa vie avec un flagelle qui lui permet de nager avant de se transformer en une cellule non-motile prête à se reproduire et à s'attacher aux surfaces. Lorsque l'environnement devient malsain et moins propice à la survie de la colonie, la cellule mère reste héroïquement attachée dans le biofilm, mais la cellule fille a deux options : elle peut s'installer dans le biofilm où elle est née, ou bien s'éloigner de ce biofilm, se séparant ainsi de sa mère et de ses autres semblables, mais préservant la survie de l'espèce en allant explorer de nouveaux horizons.
« Il semble que la variation du taux de mortalité des cellules au sein du biofilm puisse aider les cellules swarmer à jauger la qualité de leur environnement et à déterminer si cet environnement est un bon endroit dans lequel s'installer et participer à la croissance de la colonie », annonce la chercheuse postdoctorale Cécile Berne, première auteur de cette étude. « Nous avons remarqué initialement qu'en conditions de laboratoire, si nous mélangions deux cultures bactériennes surpeuplées, nous obtenions moins de biofilm. » continue Berne. « Chez de nombreuses espèces animales dans la nature, la surpopulation d'une colonie entraine la dispersion des individus vers de nouveaux environnements moins peuplés. Nous avons voulu savoir si nos bactéries se comportaient de façon similaire et nous avons donc cherché à savoir si elles produisaient quelque chose qui leur permettait de choisir s'il valait mieux rester dans le biofilm ou partir à la conquête de nouveaux espaces. Nous avons démontré que l'ADNe relâché par les cellules mortes se fixe directement au holdfast des cellules, diminuant leur propriété adhésive. C'est un peu comme si vous aviez une substance collante sur un doigt et que vous le recouvriez de poussière : lorsque le holdfast est recouvert d'ADNe, il ne peut plus adhérer à de nouvelles surfaces, et donc la probabilité que les cellules se dispersent est plus grande. »
« Réagir uniquement à l'ADNe de vos pairs est un mécanisme très ingénieux pour ces bactéries car elles ont toutes un ADN quasi identique », renchérit Brun. « Ce qui est bénéfique pour une espèce bactérienne ne l'est pas forcement pour une autre et vice-versa. Du coup, vous ne voulez pas répondre à des ADN d'autres espèces que la vôtre. Quelle meilleure stratégie pour déterminer la qualité de l'environnement dans lequel vous vivez que d'être sensible à la mort de vos pairs ? ». « En général, les biofilms sont bénéfiques pour les bactéries », ajoute Brun « Mais lorsque vos semblables commencent à mourir autour de vous, vous devinez que c'est le moment de mettre les voiles et de trouver un meilleur endroit pour vivre ».
Les scientifiques n'ont pas encore déterminé de façon certaine si ce phénomène de dispersion des cellules swarmer est juste le fruit du hasard - une heureuse coïncidence qui fait qu'ADNe et holdfast interagissent - ou s'il s'agit d'un mécanisme plus actif et plus complexe, et qui aurait été modifié et amélioré par la sélection naturelle au cours de l'évolution. Dans tous les cas, plus l'environnement est néfaste, plus le nombre de bactéries qui meurent est grand, augmentant la quantité d'ADN relâché et favorisant la dispersion des cellules restantes.
« Le mécanisme que nous avons mis à jour avec Caulobacter représente une sorte de discrimination du non-soi » ajoute le chercheur David Kysela, co-auteur de cette étude. « Nombreuses sont les bactéries qui, comme Caulobacter, utilisent un holdfast pour adhérer aux surfaces et s'organiser en biofilms. Il serait intéressant de déterminer si ces espèces répondent elles aussi à leur propre ADNe. » Un mystère de taille reste à résoudre pour ces scientifiques : comment Caulobacter s'y prend-il pour reconnaître l'ADN de ses pairs parmi tous les ADN présents dans l'environnement ? « Il y a sans aucun doute quelque chose de spécial chez l'ADN de Caulobacter, car les cellules swarmer ignorent l'ADN d'autres espèces. Jusqu'à présent, toutes nos conclusions semblent indiquer qu'il existe une séquence particulière dans l'ADN de Caulobacter, mais nous cherchons toujours » conclut Kysela.
Ce projet est financé en partie par le National Institutes of Health du gouvernement des États-Unis.
Pour parler avec Berne, Brun, ou Kysela, contactez s'il vous plaît David Bricker, Indiana University Communications, à (001) 812-856-9035 ou brickerd@indiana.edu.
"A bacterial extracellular DNA inhibits settling of motile progeny cells within a biofilm," par Cécile Berne, David T. Kysela, and Yves V. Brun, Molecular Microbiology (online maintenant)